L’article qui suit est le compte-rendu de la vision-conférence tenue le 16 mars 2021 par Sylvie Buisson pour le Club des dirigeants ESTP [anciens élèves de l’École Spéciale des Travaux Publics]. Il est signé de Mme Zélie Gauthier – Chef du Service Maintenance et Moyens Généraux (S2MG) Direction de l’Immobilier et des Services Généraux, et sera inclus dans la revue l’Ingénieur Constructeur, à paraître prochainement.
De son enfance au Japon à sa conversion au catholicisme à Reims, en passant par l’euphorie des Années folles à Montparnasse : mais toujours avec, comme thèmes récurrents, son amour de l’Art, du vivant, de lui-même et de la femme en particulier. Né en 1886, ayant perdu sa mère à 5 ans, cet enfant fugueur puis transgressif est en marge dans sa famille aristocrate. Il se recrée un monde autour de lui, notamment dans l’art. Après avoir fait les Beaux-arts de Tokyo, il part pour Paris en 1913. Il rend son nom prononçable pour les français : Tsuguharu Fujita devient donc Léonard Foujita. Sans maitre, sans élève, sans code, il est très différent des autres peintres de l’époque et, après avoir essayé le cubisme et d’autres styles de ses amis, il créé son propre style inspiré à la fois du Japon et de la France.
Star parmi les stars, ce dandy, ami de Modigliani, Picasso, Matisse, Vlaminck, Soutine…, dévore autant la fête, les voyages (il fera 4 fois le tour du monde) et les femmes que le travail. Touche à tout, il est aussi bien peintre que sculpteur, couturier, photographe… et, avec ses amis, révolutionne la peinture mondiale. Personnage subversif, il vit pour se faire remarquer en se servant de son look. Bien avant Andy Warhol, il se met en scène pour attirer l’œil des journalistes. « Seule la force de l’art peut dépasser les frontières et les barrières des races pour pénétrer le cœur des hommes. Dans l’amitié entre 2 pays, le plus utile des échanges est celui des artistes ».
Auteur d’un Japonisme éblouissant et personnel, à la croisée de l’Orient et l’Occident, il révèle ses partis pris esthétiques et sa virtuosité à Paris qui lui ouvre les portes de la renommée internationale. Le Japon lui a laissé un côté synthétique, pur, éludé (le vide est aussi important que le plein, c’est la philosophie du « Ma » : l’importance de l’espace alors que tout est malgré tout relié), Paris lui offre la liberté d’expression.
Le trait de Foujita se révèle d’une sureté infaillible et ses lignes d’une finesse calligraphique.Sa marque de fabrique vient aussi d’un mélange de techniques qu’il invente : fond blanc sur lequel il peut aussi bien déposer une très fine ligne noire que de la peinture à l’huile. Il fabrique sa matière et obtient ce blanc particulier grâce à une émulsion de coquilles d’huitres pillées mélangées à un liant (technique découverte récemment grâce à des analyses scientifiques).
Le blanc, le noir et l’or sont ses couleurs fétiches. Le chat (animal mythique au Japon à travers lequel il se projette) et la femme (surement du au traumatisme de la perte de sa mère) seront ses modèles favoris. Ce contraste N&B s’inspire du TAO : 2 forces qui s’entrainent et s’enchainent pour se relier à la grande énergie du cosmos. On retrouve souvent ce mouvement du « Tao » (Yin et Yang) dans ses tableaux. Enfin, afin de conserver un lien avec ses ancêtres, il joue aussi avec la philosophie du « Wabi Sabi » qui consiste en un mélange entre l’ancien et le moderne. Il s’inspire d’œuvres ou techniques anciennes, françaises ou japonaises, mais également insert des objets « vieillis » dans les œuvres.
Sept femmes accompagnent sa vie. Pour lui la femme est élevée au rang de mère de l’univers. Tout d’abord sa mère, puis sa fiancée japonaise qu’il doit quitter car la guerre ne leur permet pas de se retrouver. Fernande Barrey, la garçonne, est sa 1ère femme française en 1917. S’enchaineront Youki, puis Madeleine (son modèle préféré avec qui il voyagera beaucoup) et enfin Kimiyo (jeune japonaise qu’il rencontrera lors de son retour contraint au Japon en tant que peintre peu avant la 2ème guerre mondiale). La 6ème femme qui compte dans sa vie tout en demeurant son amie est Kiki de Montparnasse, le fameux modèle, et la 7ème, la Vierge Marie qui l’accompagne depuis l’enfance (statue intrigante dans l’école de l’Étoile du Matin au Japon où il apprend le français lorsqu’il est encore lycéen) dans sa réflexion mystique.
Sur sa fin de vie, il renoue avec la liberté. Ruiné après la guerre, il revient en France et en 6 mois, par la vente de ses œuvres, il peut reprendre sa vie d’artiste sans contraintes, la Modernité, et aussi le Mystique… En effet il se convertit au catholicisme en 1959 et va même jusqu’à créer et décorer une chapelle dédiée à Notre-Dame de la Paix à Reims en 1966. Grand fumeur, il meurt début 1968 d’un cancer, mais laisse une œuvre importante de près de 10000 œuvres.
Une vie très riche donc, retracée avec passion en 1h : quel challenge !